Un texte de Benoît Moritz, Architecte-urbaniste.

Préambule

Je voudrais tenter d’émettre quelques considérations générales qui pourront nourrir la réflexion, tout en essayant de ne pas dire de banalités.

Autant le dire tout de suite, je ne suis pas un spécialiste du développement durable tout au plus ai-je eu par le passé quelques discussions avec les responsables du colloque organisé par Etopia et Ecolo sur les quartiers durables et ils ont trouvé intéressant que je fasse part publiquement de ces réflexions.

Définitions et remarques préalables

Premier point : Avant de parler de quartier durable, il conviendrait tout d’abord de travailler à Bruxelles sur la notion de quartier en tant que telle. On est pas capable à Bruxelles de montrer un quartier nouveau, un développement urbain récent qui fasse référence tant à l’échelle bruxelloise qu’à une échelle européenne : je citerais le quartier Nord, le développement urbain autour de la dalle du Parlement européen, le quartier Midi, le Carrefour de l’Europe en face de la Gare Centrale. Je ne vois là aucun quartier qui fasse ville, aucune urbanité qui se dégage de ces nouveaux ensembles.

Il y a donc à Bruxelles tout une série de fondements même de ce qu’est « la fabrication » d’un quartier qui doivent être redéfinis et reconsidérés.

Un deuxième point qui découle du premier : un quartier durable est un label qui en soi ne devrait pas exister. C’est parce qu’il y a un déficit dans certains domaines qu’on est obligé de nommer les choses de manière spécifique. En effet, le fait de prendre en compte dans un projet de développement urbain tant les aspects sociaux, économiques, environnementaux que culturels devraient apparaître aux yeux de tous comme une évidence en soi, voir une banalité. Et il me semble donc qu’à Bruxelles, c’est parce que certains aspects ne sont pas pris en considération (et je renvoie aux exemples précités en mentionnant que les aspects les plus déficitaires c’est-à-dire finalement tous les aspects sauf l’aspect économique) que le label « quartier durable » devient nécessaire. Il est nécessaire tant pour introduire l’idée de performance et de durabilité des bâtiments que pour recadrer les manières d’aménager de nouveaux quartiers, que ce soit sur l’angle urbanistique ou sous l’angle du processus même de conception.

Troisième point : La notion de quartier durable, si elle consiste à prendre en compte l’ensemble des aspects précités s’inscrit il me semble dans une tradition urbaine européenne de faire la ville. A toutes les époques, on a conçu et développé des quartiers en pensant faire au mieux et ce n’est qu’avec le recul du temps qu’on a procédé à des évaluations – souvent négatives – de ce qui avait été fait par nos prédécesseurs. Je situerais donc la notion de « quartier durable » dans cette histoire urbaine de Bruxelles ou de toute ville européenne en disant que finalement la conception d’un tel type de quartier s’inscrit dans une histoire urbaine continue, avec « une couche en plus » qui serait donc cette plus grande prise en compte des aspects sociaux et environnementaux.

Quatrième point : Je me pose la question de l’utopie urbaine sous-tendue par la notion de « quartier durable » ? Par utopie, j’entends la capacité d’un modèle urbain à ouvrir vers un avenir qu’il s’agit d’advenir collectivement. Il y a bien sur l’alibi technologique liés aux questions d’environnement mais il y a surtout les aspects processuels qui me paraissent intéressant et je mettrais ici en avant deux utopies développées par Alberto Magnaghi dans son livre « Le projet local » :

 l’idée que la réalisation d’un quartier durable soit le moment d’une réconciliation entre producteurs et habitants,

 l’idée que le quartier durable soit le lieu d’une forme d’auto-gouvernance des habitants devenus producteurs.

Pistes pour des quartiers (durables)

Je voudrais maintenant aborder quelques pistes de réflexions quant à certaines notions qu’il conviendrait de prendre en compte dans le cadre de la réalisation d’un quartier durable, ou de toute forme de quartier d’ailleurs :

Utilisation et destinations des sols

En termes d’organisation générale des projets (densité, définition et structuration de l’espace ouvert), la démarche « durable » appliqué à l’aménagement urbain devrait principalement être axée sur la notion d’utilisation efficace et rationnelle des sols. Cette notion renvoie à une réflexion plus globale sur l’environnement urbain et la capacité foncière. Il s’agit en particulier de penser les nouveaux ensembles en termes de cohérence, tant interne au projet qu’en rapport avec les caractéristiques morphologiques, spatiales et fonctionnelles des tissus urbains aux abords.

En toute situation, il convient de tenir compte d’un principe élémentaire de l’aménagement urbain : ne pas mettre en péril ou fragiliser un équilibre existant.

Tissu urbain et espace publics

Il s’agira aussi de considérer la réalisation de nouveaux ensembles immobiliers comme des véritables « projets de quartier » qui participeront à la constitution ou au renforcement de la ville existante. Pour ce faire, différentes thématiques devront être traitées comme la nécessité de prévoir des équipements publics et des services d’accompagnement, la création d’espaces publics continus, l’aménagement des espaces publics collectifs, etc…

La question de la morphologie – de la forme urbaine – n’est en soi pas secondaire mais ce qui est réellement prioritaire, c’est la constitution d’une structure de l’espace public permettant flexibilité et transformation dans le temps.

Sans tomber dans la glorification du passé, j’observe l’extrême adaptabilité et je dirais même « durabilité » des structures urbaines maillées de la ville du XIXème siècle. J’adhère également complètement à l’idée de la ville passante décrite par l’urbaniste français David Mangin , ville qui soit ouverte, décloisonnée, adaptable et recyclable.

Maximiser les avantages écologiques

En ce qui concerne les dispositifs pratiques d’aménagements des nouveaux quartiers, une démarche urbanistique durable devrait spécifiquement prendre en compte des thématiques « environnementales » telles que l’implantation des immeubles en fonction de l’ensoleillement, les divers modes de déplacement, la gestion alternatives des pluviales et des eaux usées, la perméabilité des sols, la mise en valeur de la faune et de la flore, etc… C’est une banalité de le dire, mais comme ces pratiques ne sont pas encore systématiquement développés dans nombre de projets à Bruxelles, je trouve bon d’insister à nouveau sur leur importance.

La question de la densité

Il me semble que la réponse à l’exigence de la proximité piétonne n’est pas la densité, mais la compacité, c’est-à-dire la qualité des composantes urbaines (bâties et non bâties) à se tenir et à se compléter les unes les autres tant d’un point de vue fonctionnel que spatial ou physique, formant un tout et s’insérant de manière cohérente dans un contexte.

Un urbanisme durable et un urbanisme qui joue sur les complémentarités et les équilibres tant aux niveaux des fonctions qu’au niveau des formes bâties ou non bâties. C’est aussi un urbanisme qui laisse place à la complexité, complexité qui relève donc d’un urbanisme de la banalité, telle qu’on peut l’observer un peu partout en ville.

Conclusion

Pour conclure j’en appelle donc, comme Lucien Kroll, à la réalisation à Bruxelles d’un quartier durable qui soit finalement un quartier « normal », tellement normal qu’on en aura, à termes oublié, qu’il s’agit d’un quartier qui a l’origine portait le qualificatif de durable.

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