Exposé de Pascale Thys, de “Habitat et Participation”, à l’occasion d’un forum organisé par Etopia.

Introduction

Vous m’avez proposé d’intervenir sur le thème de pistes alternatives d’habitat à développer aujourd’hui dans nos sociétés. Mais je voudrais tout d’abord poser de manière un peu plus générale la problématique du logement et le contexte dans lequel ces formes d’habitat se développent.

Durant mes études en sciences économiques, un sujet très à la mode était la dérégulation des marchés. L’idée était qu’il n’était plus pensable de fonctionner dans un système où il serait possible de déterminer un équilibre stable et unique. Dès lors, les acteurs économiques devaient toujours agir en anticipant les nouveaux équilibres et on pouvait ensuite mesurer ces degrés d’adaptation à la réalité. Mais les économistes de l’époque se posaient la grave question de savoir si ce fonctionnement correspondait à un système en convergence ou en entropie, c’est-à-dire la tendance inexorable de l’univers à évoluer vers un état de désordre croissant. Ou, de manière plus imagée, ces équilibres successifs auxquels il faut s’adapter ressemblent-ils plus à une araignée qui tisserait sa toile de l’extérieur vers le centre ou du centre vers l’extérieur. Aujourd’hui, la question est devenue obsolète et on sait que le système ne va pas vers un point d’équilibre unique. Cela explique tout à la fois la perte de contrôle et le désespoir des politiques – notamment en matière de logement – ainsi que le besoin de diversifier les réponses en matière de problèmes de logement. Et d’où, sans doute, la nécessité de rédiger 22 pages quand on veut aborder la question.

La deuxième chose que je voudrais dire, avant que de devenir plus pragmatique, est que le sujet qu’on m’a demandé de présenter : l’habitat collectif et l’habitat intergénérationnel est finalement tout sauf novateur. En effet, il ne s’agit là que de pratiques ancestrales d’habitat (pour tous les amateurs de sites préhistoriques et autres dont je fais partie) : habiter avec ses voisins et ses vieux parents ne paraît pas à première vue des plus révolutionnaires. Si vous voulez quelque chose de vraiment différent, lisez Van Vogt ou Asimov qui présentent des mondes où les gens vivent totalement seuls dans leur maison, sans jamais en sortir et où les seuls contacts se déroulent sous forme holographique, le contact physique étant devenu intolérable. Là, ce serait vraiment neuf dans notre société ! Ceci dit, à y bien regarder, ces’ nouveaux modes d’habiter’ sont étrangement différents de ce qui existait, parce qu’ils incarnent la façon moderne de diriger sa vie : le choix. Avant, on ne choisissait pas ses voisins et on habitait avec les grands parents pour le meilleur et pour le pire. Ces nouveaux modes d’habiter ont une différence avec les anciens : l’habitat groupé, collectif, consiste à choisir ses voisins ; l’habitat intergénérationnel, ce n’est pas habiter avec ‘ses’ vieux à soi, mais souvent avec d’autres ‘vieux’ que l’on a choisi. Ceci pose une vraie question sociale : le collectif doit-il toujours être choisi pour être acceptable, tolérable ?

Présentation succincte des nouveaux modes d’habiter

On m’a demandé de vous parler d’une part de l’habitat collectif et d’autre part de l’habitat intergénérationnel. Je vais surtout m’attarder sur le premier point car le second rejoint pour beaucoup d’aspects ce qui peut être dit de l’habitat collectif. Tout d’abord, je signale que c’est intentionnellement que j’ai un peu dévoyé le titre de cet exposé, parce que le terme de collectif me semblait moins réducteur que communautaire. Pour faire court, quand on analyse les expériences d’habitat groupé, on remarque qu’il existe schématiquement derrière ce terme trois modes différents d’habiter :

 L’habitat communautaire où le collectif est dominant (les espaces privés sont petits face aux espaces collectifs ; une idéologie forte cimente le groupe (souvent philosophique ou religieuse) ; le partage peut aller jusqu’au partage des revenus ou des activités professionnelles) ;

 L’habitat collectif où il existe une articulation entre privé et collectif avec des degrés extrêmement divers. On peut y trouver des habitats groupés où les résidants ont décidé de partager des repas ensemble ou d’avoir des activités communes. Les ‘kots’ étudiants ou la colocation des plus jeunes peut s’apparenter à ce modèle. A la base, on trouvera généralement un projet fédérateur (aide sociale, projet écologique, etc.)

 Enfin, il existe des habitats regroupés où le collectif (de manière spatiale ou en terme de projet) est basique voire quasi inexistant. La base du rassemblement est souvent d’ordre économique, parfois même non volontaire. Je me souviens de discussions homériques à Habitat et Participation pour savoir si le logement social était ou non de l’habitat groupé. Selon nous, le rassemblement sur un même espace n’est pas suffisant pour parler d’habitat groupé car il faut une dimension volontariste de la part des occupants (on revient à l’idée de choix).
Ce qui est au centre de mon propos, c’est bien l’habitat collectif, à l’exclusion de l’habitat regroupé et avec certains aspects en lien avec l’habitat communautaire.

Plus que des explications, voici quelques exemples :

 La ferme de Louvranges dans le Brabant wallon est une vieille ferme, retapée par ses premiers occupants il y a de cela plus de 20 ans. Dès le départ, un projet social d’aide aux personnes en difficultés temporaires existait. Deux studios permettent cet accueil temporaire. Ce projet, plus que des espaces collectifs, rassemble les personnes, les obligent régulièrement à discuter des problèmes, à prendre ensemble des décisions.

 La cité Benedi, projet de construction datant d’il y a plus de 20 ans dans le Brabant wallon, propose une salle de concert et des espaces de répétition pour tout ce qu’il y a d’artistique dans la région. Une piscine intérieure et une salle de méditation permettent, après le bien être de l’esprit, de promouvoir le bien être du corps (et de l’esprit).

 Le Verger, un tout nouvel habitat groupé dans le namurois, est un exemple de promotion de construction écologique dans toutes ses dimensions : choix des matériaux, choix des énergies, évacuation des déchets. Bref, ils veulent démontrer que le fait d’être en collectif permet de faire plus ‘vert’ que s’ils avaient construit seuls leur logement.

 Le Vivier est une maison un peu délabrée à Bruxelles. Elle est occupée par des Peuls – souvent au départ des sans-papiers – qui ont trouvé tout à la fois le moyen de se loger, mais aussi de pratiquer ce que leur civilisation a de plus riche : l’art de l’accueil. En effet, on peut trouver en permanence des Belges qui y résident, ces Belges étant des personnes en souffrance mentale. Ceux-ci rendent à leur tour des services aux Peuls, par exemple via des démarches administratives.

Autant d’exemples, autant de variétés. Mais un point commun : le souhait d’être des citoyens actifs en proposant qui un logement social alternatif, qui de la promotion artistique alternative, qui encore de l’écologie pratique ou tout simplement en valorisant les richesses de deux catégories de personnes considérées à priori comme précarisées.

Les problèmes rencontrés

les pouvoirs publics devraient pouvoir répondre à une série de problèmes rencontrés par ce mode d’habitat afin que se multiplient ces initiatives plus citoyenne d’habiter.

Si l’habitat collectif est en acquisition

 Problème d’accès à un terrain à bâtir. La politique actuelle de lotissement empêche les futurs copropriétaires de trouver un espace.

 Incompétence de nombreux notaires, voire leur réticence à réaliser des actes de base pour formaliser de manière juridique la copropriété.

 L’accès à l’emprunt en cas d’achat collectif : entre le compromis de vente et l’acte de vente, le délai est de 4 mois, ce qui est insuffisant.

 Le fameux ‘périple administratif’ dont parle vos propositions, mais qui relève aussi de la non connaissance des possibilités réelles chez les fonctionnaires qui doivent décider.

Si l’habitat collectif est en location

Malgré une législation spécifique en RW sur le logement collectif, la plupart des propriétaires ne souhaitent pas qu’un collectif prenne la responsabilité du bail. Une personne assume donc ce bail vis-à-vis du propriétaire, est à la merci de non paiements. Les autres quant à elles sont en danger de devoir quitter immédiatement les lieux si le locataire en titre s’en va.

Ce problème de bail existe aussi dans les habitats de type ‘kangourou’ où une famille cohabite avec une personne âgée. Si la personne décède, la famille n’est pas protégée et doit quitter rapidement son logement.

La question du statut des personnes. Une personne qui réside dans un collectif risque – selon le fonctionnaire qui contrôle – de perdre son statut d’isolé au bénéfice de celui de cohabitant si elle bénéficie d’un revenu de remplacement (chômage – GRAPA – RI – allocation handicapé). La convivialité et la solidarité sont ainsi pénalisées financièrement.

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