Pourquoi le pétrole est-il important pour notre civilisation ?

Le pétrole est la source d’énergie la plus concentrée qui soit, après l’uranium, que la radioactivité oblige à manipuler avec d’infinies précautions. Son état liquide le rend facilement manipulable et transportable, et en fait une source énergétique de choix

Sa consommation n’a pas cessé d’augmenter depuis le début de son exploitation en 1859 par le colonel Drake. L’humanité a consommé autant de pétrole entre 1980 et 2000, qu’entre 1859 et 1980. Notre civilisation contemporaine, la croissance économique énorme qu’elle a connue ont été en grande partie rendues possibles par le pétrole.

Actuellement, plus de 40 % de la consommation énergétique mondiale primaire est alimentée par du pétrole. Sur Terre, plus de 95 % des déplacements de personnes et de marchandise sont réalisés en brûlant du pétrole. Cette activité, déplacer, consomme plus de la moitié du pétrole extrait chaque année. Le terrien consomme en moyenne 1,5 tonne de pétrole par an. Mais l’Européen en consomme 4 tonnes.

Quel est l’impact de la consommation de pétrole (et en général de toutes les énergies fossiles) sur notre climat ?

La consommation de pétrole et d’énergies fossiles à base de carbone est la principale cause de l’augmentation de la présence dans l’atmosphère de Gaz à Effet de Serre (GES) responsables du dérèglement climatique. Tous les climatologues ou presque sont d’accord : nous ne pouvons pas attendre que le pétrole ait commencé à devenir impayable pour réduire notre consommation de manière drastique. Même en cessant demain toute émission de gaz à effet de serre, il faudrait plusieurs milliers d’années avant de revenir au niveau de 1850. De manière générale, le consensus au sein des protecteurs du climat est qu’il faudra réduire le plus vite possible d’au moins de 50 pc nos émissions de GES, si nous voulons limiter à 2° la hausse MOYENNE des températures au niveau planétaire avant la fin du siècle.

Mais indépendamment de la (très grave) question climatique, c’est quoi le problème ?

Nous ne savons pas exactement quelles sont les quantités d’hydrocarbures liquides (pétrole, gaz naturel…) qui restent à la disposition de l’humanité. Ce que nous savons en revanche avec certitude, et pour cause, c’est que leur stock est limité. Autrement dit, le pétrole est une ressource épuisable. Il provient d’un nombre limité de réservoirs, qui sont eux aussi limités.
Nous savons également avec certitude que tôt ou tard la production de ces hydrocarbures va commencer à décroître. C’est ce qu’on appelle le pic de production.

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L’estimation moyenne situe le pic mondial aux alentours 2015 + – 5 ans . L’estimation la plus optimiste qui existe, faite par Total, le situe en 2025. Cela ne veut pas dire qu’il n’y aura plus de pétrole, mais que le débit d’extraction ira en diminuant.
On estime cette diminution à environ 2 % par an. A ce rythme, la consommation annuelle de pétrole aura été divisée par deux d’ici 2050.
Dans plusieurs régions du monde, le pic de production a déjà été atteint (USA, Norvège, Mer du Nord, Mexique, notamment).

Pourquoi en est-il ainsi ? L’exemple du trou dans un seau

Lorsque la quantité de liquide encore présente dans un réservoir baisse, son débit diminue aussi. C’est comme une fuite dans le bas d’un seau. Son débit diminue progressivement avec la baisse du niveau de l’eau dans le seau. Le phénomène peut être compensé de deux manières : augmenter le nombre de trous dans le seau, ou encore découvrir d’autres seaux pour y faire des trous.
En ce qui concerne le pétrole, on peut dire que les grands seaux ont vraisemblablement été tous découverts. On ne trouve aujourd’hui plus que de petits seaux (de petits gisements). Les dix plus importants gisements du monde en terme de débit ont ainsi tous été découverts il y a plus de 30 ans.

Dans certains cas, on tente de maintenir le débit par des techniques de stimulation (injection d’eau, mise sous pression). Toutefois, ceci ne ferait que retarder le problème : dans 90 % des cas, il n’y a pas augmentation totale du gisement, mais une baisse de débit plus tardive, …et plus brutale.

La notion « il reste 40 ans de pétrole » est donc tout à fait trompeuse. Elle laisse penser que les robinets à pétrole peuvent continuer à couler avec le débit d’aujourd’hui pendant 40 ans, et se tarir tout d’un coup, ce qui est contraire à l’observation simple du seau qui fuite.

Y-a-t-il au moins une autre raison d’agir ?

Oui. Oublions un instant la déplétion (le fait que le débit va baissant) et le réchauffement climatique. La demande de pétrole, elle ne fait que croître, et tout indique qu’au niveau mondial l’offre suffit tout juste à répondre à la demande, déjà aujourd’hui.
La capacité de production excédentaire est en effet aujourd’hui de l’ordre de 1%, ce qui est très peu (1 millions de barils par jour, par rapport à une consommation de l’ordre de 82 millions de barils par jour).

Dans ces conditions, la moindre variation du côté de la production (problème politique, embargo par exemple), du côté de la transformation (attentat) ou du côté de la demande (hiver rude, gestion de la demande), peut avoir un impact considérable sur le prix.
Alors, que va-t-il se passer si nous ne faisons rien ?

Une première certitude : l’écart entre le pétrole disponible (-2% par an) et la croissance de la demande (+1,6 % par an) provoquera une tension. Il y aura donc une baisse de disponibilité de l’ordre de 4 % par an, ce qui est énorme. Une seconde, le pétrole sera donc très cher.

Dans un monde où la demande dépasse l’offre, et où l’offre se restreint, Wingert prédit un avenir en « plateau ondulé », les cours et la production fluctuant de manière importante à chaque fois que l’on heurte soit le plafond de production, soit le bon fonctionnement de l’économie mondiale.

A politique inchangée, il en résulterait une succession de crises importantes, environ tous les 5 ans. Les pays détenteurs de pétrole pourraient ainsi limiter l’approvisionnement mondial, gardant pour eux le précieux poumon économique, comme le fait la Russie aujourd’hui avec les quotas d’émissions issus du Protocole de Kyoto.

Que faudrait-il faire ?

L’hypothèse la plus optimiste et qui nécessite une réelle volonté politique serait la prise en main par les Etats d’un vigoureux plan d’économies d’énergie. Pour être efficace, il faudrait une coordination internationale et/ou une modification dans la régulation du marché de l’or noir.

Aujourd’hui côté en bourse en temps réel (avec ses dérives spéculatives possible), le marché serait repris en main par les états, tant consommateurs que producteurs, en vue de s’accorder sur un plan de déplétion.

Les producteurs s’engageraient à ne pas produire plus que convenu, tandis que les consommateurs s’engageraient à ne pas importer plus que convenu, le volume total diminuant de l’ordre de 2 % par an.

C’est l’idée du Protocole de Rimini, soutenue par Michaïl Gorbatchev. Ces deux possibilités présentent un intérêt considérable tant pour les producteurs que les consommateurs, mais demandent une intense coopération internationale.

Malheureusement, de ces solutions pacifiques, visionnaires et défendant l’intérêt commun, on ne voit rien venir, et c’est le scénario de la prise par la force qui risque de se produire. Il ne fera cependant que retarder (un peu) le problème, et pour les vainqueurs seulement.

Comment pourrait être le monde de demain ?

Mais soyons positifs : imaginons que le problème du pétrole se résolve pacifiquement. Quelle forme prendra notre économie ?

Dans un premier temps, la hausse plus que probable des prix du pétrole forcera les consommateurs à mettre en œuvre les économies d’énergie qui leur permettront relativement facilement de réduire de 10 à 15 pc leur consommation.

Mais les prix de l’énergie restant très élevés, c’est progressivement toute la chaîne de production qui génèrera des produits plus chers, entraînant vraisemblablement une baisse généralisée du niveau de vie.
Le réseau de transport international pourrait lentement se rétracter et la mondialisation changer de visage. Les moyens de transport les plus gourmands seront touchés en premier : avion, voiture, camion.
On évoque à ce niveau un phénomène de «démondialisation ». Mais elle ne devrait être que partielle, les outils de communication consommant relativement peu d’énergie. En revanche, les produits pondéreux (ciments, acier) ou à faible valeur ajoutée seront vendus moins loin, tandis que le bateau sera le moyen de transport privilégié.

Les activités économiques auront donc un intérêt plus grand qu’aujourd’hui à se situer sur les côtes, sans compter la présence d’énergie renouvelables (éolien, courants, houle, marée). Le commerce retournerait à une forme de proximité, par souci d’optimisation économique.

Quelles sont les principales tendances dans les réponses à apporter ?

Même si fatalement ce genre de typologie est toujours arbitraire, on peut tenter l’exercice, en forçant le trait pour en faire ressortir des « types idéaux » qui nous permettent de nous y retrouver dans la forêt des théoriciens de la fin du pétrole, même si ces types ne se rencontrent que rarement à l’état brut. Ceux qui se reconnaîtront pardonneront le caractère forcément caricatural de l’exercice…

Premier genre, les «techno-fidéistes ». Ils ont une confiance aveugle dans la technique et rejettent la notion de pic suivi de déclin. Ils sont convaincus du progrès illimité de la science et des techniques et pensent que de toutes les manières « la » technique et les entreprises trouveront une ou des solutions.

Il y en a de plusieurs sortes et leurs formes peuvent se combiner…

Sous espèce de ce genre : les utopistes d’une seule technique qui misent par exemple sur le développement d’une technique révolutionnaire pour régler tous les problèmes. Pour certains dans le passé, ce fut le nucléaire. Pour d’autres, c’est aujourd’hui l’hydrogène ou la fusion nucléaire.

Second genre, les utopistes du marché qui sont convaincus que le marché apportera une grosse partie de la réponse, la demande en énergie fossile s’adaptant quasi-automatiquement à la réduction de l’offre. L’équilibre général du marché sera rétabli par le recours à de nouvelles techniques et/ou de nouvelles habitudes de consommation, sans que le politique ne doive réellement s’en mêler ou alors le moins possible.

Troisième genre, les utopistes de la régulation. Pour eux, la solution au problème du climat et de l’énergie passe nécessairement par une régulation plus ou moins forte de l’économie et singulièrement de la consommation de carburants fossiles. Par exemple par la voie fiscale. Ils estiment que seul un renforcement drastique de la fiscalité sur les énergies fossiles provoquera rapidement les indispensables changements de consommation.

Quatrième genre : les utopistes de la décroissance généralisée. Ils estiment qu’il est impossible de parvenir à une décroissance de la consommation de ressources non-renouvelables et singulièrement de ressources fossiles comme le pétrole sans réduction de la croissance économique pure et simple. Ils soulignent notamment que l’augmentation des performances techniques (en terme de moindre consommation) est compensée par une croissance globale de la consommation.

Cinquième genre : les pessimistes, voire les catastrophistes. Ils pensent qu’il est trop tard ou alors qu’il sera extrêmement difficile d’éviter les conflits majeurs, les crises économiques, sociales et environnementales que risquent de susciter la montée des prix du pétrole. Ils prédisent un long passage par une période d’instabilité généralisée.

Sixième genre : les syncrétistes. Ils pensent que le salut ne réside pas dans une seule des voies précédentes. Mais qu’il faudra impérativement combiner un ensemble de mesures.

Cet article se base notamment sur un texte de Jean-Yves Saliez “Y a-t-il une vie après le pétrole ?”

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