Un texte de Lucien Kroll, Architecte-urbaniste et chercheur-associé à Etopia.

Ordre

Au singulier car à plusieurs, ils se disputent et ça fait désordre.

Désordre

Un monde de contradictions, de créativités, d’aspirations, de cultures finement différentiées : elles se conjuguent par le débat.

« L’Ordre règne » : il s’est associé avec le pouvoir, avec la marchandisation de la planète et avec la technologie et ainsi il a réussi à détraquer la planète. Bloqué sur sa compulsion à la domination, il a perdu le contact avec la société civile et se défend hargneusement contre elle. Dès lors, c’est le désordre qui est devenu le représentant naturel du peuple.

La subsidiarité[[On en a beaucoup parlé pour faire accepter Maastricht, puis plus rien… Une image : les habitats du rez-de-chaussée règlent leurs problèmes entre eux, s’ils ne s’en sortent pas, ils appellent le premier étage à l’aide, si ensemble ce n’est toujours pas résolu, ils appellent le deuxième et ainsi de suite. À aucune, ils n’abandonnent leur autorité à d’autres. C’st une définition de la démocratie…]] qui était sa santé et sa loi est étouffée, l’hospitalité qui était sa seule vocation, s’efface. L’ordre fait le bonheur du peuple, soigneusement sans rien lui demander… Il monopolise le pouvoir de décision et le fait descendre le long des hiérarchies de commandement. Autisme ? Non : fatalité du modernisme… (Peter Sloterdijk[[Philosophe allemand qui a transcrit une conférence donnée en Suisse il y a bientôt dix ans sous forme de petit livre : Règles pour le parc humain. Il décrit l’humanisme comme une nébuleuse ouverte à tous ceux qui savent lire : ceux-ci n’écrivent qu’à des amis connus ou même futurs ; l’humanisme a traversé les âges mais a été vaincue récemment par la technologie (refaire le monde et l’homme, jusqu’à l’eugénisme…). Mille et Une Nuits, Paris, janvier 2000, 64 p.]]… )

L’urbanisme & l’architecture modernes, artificialisés eux aussi, se sont fait les adversaires de l’humanisme et de l’hospitalité (René Schérer : Zeus of hospitalier[[Zeus hospitalier, Éloge de l’hospitalité, Éd : La Table Ronde]]) et ont même réussi depuis des années, à rester indifférents aux désastres promis par la pollution et le gaspillage. Après leurs périodes créatives d’avant la dernière guerre, ils ont généré une forme criminogène d’urbanisme/architecture (Saint-Louis[[Pruitt & Igoe project Saint-Louis Missouri, un demi million de mètres carrés vandalisés par les « pauvres Américains » et finalement « implosés » ]] , Corviale[[Fameux bâtiment « social » d’un kilomètre de long, construit dans la banlieue romaine. « Il piu lungo errore del mondo ? » actes du colloque publiés par Sergio Porta dans le bulletin du Politecnico di Milan : Quaderni del PU n° 2]] , Clichy-sous-Bois[[10 000 autos incendiées en 20 jours : des pros ? Article LK « Émeutes » dans revue ARCH PLUS n° 176, (Berlin Aachen05/2006 ; ou revue Cassandre, Paris “La superstition moderniste en procès” article LK.]]) : du 27 octobre au 17 novembre de l’an dernier, dix mille autos ont été incendiées à Clichy-sous-Bois. Et jusqu’à aujourd’hui, personne (police, justice, psychosociologues, politiques, urbanistes) n’a encore découvert par qui, comment, pourquoi et où… Ceci surtout nous intéresse : cela ne brûlait que dans les “grands ensembles” préfabriqués. Dans des quartiers plus vieux ou en désordre, il ne se passait quasiment rien. L’architecture/urbanisme sont devenus les déclencheurs « non coupables »…

Car il y a des désordres violents, destructifs mais toujours significatifs et d’autres, constructifs, vivants, créatifs et indispensables. Et ailleurs, presque en parallèle mais pacifiquement, des comités de quartier combattent des projets inconvenants. Je n’en ai pourtant quasi jamais vu un seul obtenir une coopération sincère et durable en vue d’un projet commun, paisible. Leur seule victoire est triste : tuer un projet : toujours la guerre et puis la duplicité…

Contre-ordre

Des remèdes : écologie, coopération, décroissance soutenable, l’architecture organique montre des relations plus responsables et directes avec l’homme/nature, nouvelle densité, conurbation par composants (gestes d’habitants : piéton rue place[[Je ne connais à peu près que deux gestes humains qui créent de l’urbanisme : un piéton marche et trace un sentier. Il a fait une rue virtuelle : il suffit de la laisser s’habiller de maisons pour la voir apparaître. Un autre piéton marche à sa rencontre : ils s’arrêtent et se parlent. Ils ont créé une place : il suffit de la laisser s’équiper d’institutions politiques, religieuses ou marchandes pour la révéler. Il y a encore la cour et le jardin, c’est à peu près tout. ]]), multicultures, transformabilité, complexités (quartiers divers et mêlés : la belgitude), etc. Même l’écriture automatique y aide : surréalisme ou test psychologique du village. Les relations avec le contexte induisent une architecture moins arrogante que l’obéissance aux technologies sourdes : l’usage de matériaux plus naturels adoucit l’architecture. Comme le respect de la diversité des habitants (lorsqu’on les écoute) propose une architecture sans les répétitions industrielles stupides et devient naturellement organique.

Écologie : 1866, Ernst Haeckel, la « simple science des relations » (solidarité, social, équité, etc. ce sont des sous groupes). Félix Guattari[[« Les Trois Écologies » Galilée 1994. ]] : « les trois écologies », le degré zéro de l’éco urbanisme c’est la relation avec l’usager.

Refaisons l’histoire rapide de la participation : officiellement, elle aurait débuté à Haarlem « advocacy planning », Paul Davidov 1966 (encore enseigné mais comme une langue morte aux EU). Pourtant, c’est en 1946 qu’André Lurçat avait travaillé avec les habitants de Maubeuge pour décider avec eux de son plan de reconstruction[[Lurçat a rencontré TOUS les habitants accessibles de la ville, les a organisés en groupes affectifs ou professionnels, les a fait travailler sur le plan général : celui-ci a été suivie mors de la reconstruction…]]. Des actuels : Peter Hübner, Patrick Bouchain, Balkrishna Doshi, Joachim Eble, etc. Pas connus parce que pas acceptés.

Les modèles d’urbanisme et d’architecture encore enseignés et pratiqués de nos jours , datent des années trente : séparation des « fonctions », des classes, des richesses, des races, ce sont des nettoyages ethniques,

Un exemple : les automobiles datent d’Henry Ford : à chacun la sienne jalousement parquée juste devant chez soi pour encombrer plus d’espace urbain qu’une personne (routes, garages, parkings spécialisés, etc.). Depuis Ford jusqu’à nos jours, ses véhicules ont tué quarante millions de braves gens et en ont sans doute estropié deux cent millions : c’est le progrès… Puis ça roule de plus en plus lentement : actuellement en moyenne à la vitesse d’un piéton en polluant de plus en plus. Les autos immobiles confisquent plus de place à s’arrêter qu’à rouler, Et pour cela, on détruit la forme humaine de nos villes (voir Curitiba[[Capitale du Parana, 5 millions d’habitants ; le Maire, Jaime Lerner a été élu sur des projets d’urbanisme socio écologique : trafic urbain, favelas, sécurité, enfants des rues, verdissement, équipements publics, ordures, enseignement, etc. Architectural Review, London n° 1227, Moving Places, Creative Curitiba, par L.K. pp 92 à 95.]]) puis on va rêver à Venise, à pied, sur l’eau.

Toutes les marchandises s’artificialisent et massacrent les paysans et les artisans, aussi l’alimentation tuant le goût (fast food versus slow food) et l’habileté (Taylorisme).

Donc, d’urgence : contrordre, un grand virage urgent, d’abord dans l’affect et la raison, ensuite dans le cadre politique (permettre) puis dans l’expérimentation et l’action. Pratiquement il est urgent de faire connaître (ignorance et mutisme : presse, écoles, etc.) la participation véritable (non la démagogie des consultations a posteriori ou la géopolitique brutale et muette) et d’en expérimenter des prototypes qui apprennent l’un de l’autre, par exemple la « façon » d’Ita Gassel[[Itamar GASSEL, anthropologue ULB, le seul profondément respectueux de la parole des groupes. Nous avons travaillé avec lui au « Coin du Balai », puis à Clichy-sous-Bois, etc. Sa méthode : « Recherche-action & participation-miroir »…]] et puis, la “programmation générative” (USA puis Michel Conan[[Responsable su Service de Sciences Humaines au CSTB à Paris, « Programmation Générative et Participative en architecture »]]).

Et enfin, remettre les pendules à l’heure.

Quartier soutenable

Quand verra-t-on naître un quartier soutenable courageusement « à jour », ouvert sur son environnement, relationnel, divers en tous ses composants, transformable face à l’évolution des mœurs, mêlé de travail, commerce, culture, « comme ça vient ». Et d’une taille suffisante à éviter le ghetto, puis ouvert sur l’avenir : jamais fini.
Son organisation s’appuie sur la participation de ses futurs habitants (ou présumés) pour former un noyau (même hypothétique) et travailler avec eux pour aboutir à un « projet social » puis à un « projet technique » (voir Ita Gassel) dessiné alors par les architectes comme un « modèle à casser », pédagogique, (une simple illustration de leur demande et non un projet) à modifier dans un calendrier de décisions, au fur et à mesure que le projet social se développe. Cette organisation crée des relations actives entre voisins : c’est l’inverse d’une communauté fermée ou d’un anonymat urbain. Sa forme est l’image complexe de relations de voisinage et plus jamais celle du parking ou de l’entrepôt.

On enrichit la complexité en invitant des représentants de l’éducation, de philosophies, de commerces, de bureaux (moyens) et en les mêlant au groupe premier : cela devient une mirco-société. La « programmation générative » nous y aide.

Le thème principal de cette vie en commun est évidemment la soutenabilité : la forme que prend le schéma de quartier devient vite « écologique-actif », sa composition devient une « éco-diversité vivante ». Les thèmes généraux sont discutés et adoptés dans la liberté et la diversité des individus. La Haute Qualité Environnementale » (CAUDRY[[Lycée Technique de Caudry, Nord-Pas de Calais, concours gagné par nous, sur la base de la Haute Qualité Environnementale encore « fanatique » (amadouée depuis) : c’était la première application pleine et entière de la procédure HQE.]]) devient une obligation naturelle : on doit ambitionner au moins la « maison passive autonome » (La Haye DTO[[Duurzaam Technologische Ontwikkeling Den Haag. Étude demandée à cinq équipes d’architectes, dont nous, pour la « soutenabilisation » d’un bâtiment ancien, comme exercice d’application du « Facteur Quatre » et évaluation rationnelle de l’empreinte écologique. L.Kroll : Bio, psycho, socio, éco, Écologies urbaines, à L’Harmattan, Paris, Décembre 1996. ]]) indépendante des réseaux (eau, gaz ; électricité, chauffage, égouts, hélophytes, living machine, etc.), déchets ménagers (compost, biodigesteur[[Ou bio réacteurs « domestiques de groupes » producteurs autonomes d’énergie, sous pression et chaleur.]]), utilisation des seuls matériaux renouvelables (sauf pour les bâtiments institutionnels…). On discute de nourriture bio « slow food », de covoiturage ou de pool collectif (plus de voitures personnelles), etc. Et les discussions en groupes choisissent automatiquement quelques lieux plus publics, plus denses de rencontre spontanée. Cela se fait tout seul lorsque les techniciens ne l’interdisent pas…

Toutes ces techniques et arguments existent : il suffit de les rassembler d’urgence car les mentalités galopent et les réalisations timides seront méchamment critiquées sous peu.

L’urgence climatique impose des prototypes plus fondamentaux que les expériences spécialisées dans les seules techniques d’économies : il s’agit ici d’abord d’un modèle naturel contemporain d’habitat en commun, de sensibilité au voisinage. On ne peut faire moins…

Une image complexe de relations de voisinage et non une image de parking ou d’entrepôt.

[->http://homeusers.brutele.be/kroll]

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