L’épuisement des énergies fossiles et le réchauffement climatique sont désormais des thèmes cruciaux de politique étrangère. La prévention de ces deux risques majeurs amène une convergence de vues entre les défenseurs de l’environnement et des spécialistes de la sécurité internationale. Leur commune conviction pourrait être aujourd’hui, qu’au lieu d’opposer les pays d’ancienne et de nouvelle industrialisation, nous devons développer entre eux une coopération systématique sur les questions énergétiques. Il faudra également mettre rapidement en place des règles globales d’accès à l’énergie.

Longtemps, les questions d’énergie et de changement climatique ont été débattues en termes d’éthique environnementale, de responsabilité pour les générations futures ou de défense idéaliste de la nature. Situés aux deux extrêmes du spectre politique, les écologistes et les économistes semblaient devoir éternellement s’opposer.

Progressivement, la manière d’appréhender le sujet a évolué. Ceux d’entre nous qui travaillent dans le domaine de la politique environnementale ont commencé à employer la terminologie et les méthodes économiques. Par exemple, nous avons commencé à calculer les « coûts externes » des transactions financières, chiffrant les dégâts écologiques en prix du marché. De même, les rapports annuels publiés par les compagnies d’assurance telles que la « Münchener Rück » sur l’impact financier des catastrophes naturelles, ont attiré l’attention sur la dimension économique des dommages environnementaux.

Ce type de réflexion a fait une entrée fracassante sur la sphère publique mondiale à la fin du mois d’octobre 2006, lorsque l’économiste britannique Sir Nicholas Stern a publié son rapport sur les conséquences économiques du changement climatique. Ce rapport contient de nombreux chiffres effarants, lesquels auraient été écartés il y a seulement quelques années comme procédant d’une pensée écologiste apocalyptique. Aujourd’hui, cette période est révolue. J’en citerai seulement trois chiffres :

•200 millions de personnes risquent d’être privées de leurs foyers pour cause d’inondations ou de sécheresses d’ici 2050 ;

•4 milliards de personnes pourraient subir une pénurie d’eau si les températures augmentent de 2°C ;

•40% des espèces mondiales risquent de disparaître si les températures augmentent de 2°C .

L’exigence centrale du rapport Stern est de consacrer environ 1% du PIB mondial à la stabilisation du taux de dioxyde de carbone dans l’atmosphère. Le coût de l’inaction, conclut Stern, serait de 20 fois supérieur. Rendu public avant que ne débute la conférence sur le changement climatique des Nations Unies à Nairobi, le rapport Stern a dopé la conscience mondiale du problème. Dans l’esprit du public, la responsabilité écologique et la pensée économique pragmatique ont définitivement cessé d’être antinomiques.

Jusqu’il y a peu, il y avait un autre couple jugé improbable dans le champ politique, celui des écologistes et des experts en sécurité. Ils ont en effet très peu de choses en commun, autant culturellement qu’au regard de leurs programmes. Aujourd’hui, pourtant, la situation mondiale semble de plus en plus exiger une nouvelle alliance entre les tenants d’une politique énergétique innovante et « verte » et les faucons de la sécurité. L’énergie joue un rôle nouveau dans les politiques des affaires étrangères.

Dépendants du pétrole

Le point de rencontre le plus évident entre les énergies alternatives et la pensée sécuritaire est la perspective d’un conflit international autour des ressources limitées. La guerre en Irak montre qu’une politique énergétique réduite à une approche militaire – menée sous le slogan « Comment notre pétrole arrive-t-il en dessous de leur sable ? » – peut mener à une impasse, voire à un éloignement de toute perspective de renforcement de la sécurité d’approvisionnement.

« Nous devrions avoir investi des milliards non pas dans la guerre en Irak, mais bien dans la recherche dans le domaine de l’énergie et de technologies économisant l’énergie, dans des maisons et des appareils permettant des gains d’énergie. Les Etats-Unis auraient été moins dépendants du pétrole et à plus forte raison, plus sûrs. Bush a accompli l’inverse ; tout est devenu beaucoup plus dangereux depuis son entrée en guerre. » (Al Gore dans le journal allemand Frankfurter Allgemeine Zeitung du 13octobre 2006).

Pourtant, même George W. Bush a récemment changé son fusil d’épaule vis-à-vis des méthodes de sécurisation de l’approvisionnement énergétique futur de son pays. Les Etats-Unis, tout comme les autres pays, doivent comprendre que les modes de vie occidentaux en matière de consommation et de production se globalisent lentement. Dans les nouveaux pays industrialisés et dans les pays en développement, cinq milliards de personnes se battent pour obtenir des niveaux de vie plus élevés. Avec un impact spectaculaire sur la demande de matières premières, et particulièrement d’énergie. Ces matières deviennent plus coûteuses et cela restreint radicalement la capacité d’action de nombreux pays – spécialement des Etats-Unis –. Ce qui a amené George W. Bush à finalement lancer : « Nous sommes dépendants du pétrole ». Ce qui compte, dit-il, c’est que nous surmontions cette dépendance. Autrement dit, « Nous devons nous écarter du pétrole », comme nous le disons, nous, les Verts. Une stratégie d’indépendance par rapport au pétrole constitue le pré-requis pour la sécurité de l’énergie. Ce concept a une double signification : sécurité de l’approvisionnement en énergie et sécurité de la paix internationale en évitant les conflits pour l’accès à des ressources limitées.

Deux risques mondiaux

Nous sommes confrontés à deux risques mondiaux :

•le changement climatique ;

•l’explosion des coûts des ressources.

Ces deux risques sont étroitement imbriqués. Ils seront – et peuvent seulement être – résolus ensemble.

Changement Climatique – Les faits

Le film d’Al Gore, « Une vérité qui dérange », est projeté dans les cinémas. Il peut se targuer à la fois de son succès populaire et de sa précision scientifique. L’écosystème Terre ne sera pas capable de faire face aux scénarios énergétiques pronostiqués pour le monde. Aujourd’hui, nous savons que les conséquences du système énergétique dominant sont plus dramatiques que ce que l’on envisageait encore il y a dix ans. Il y a eu accélération du changement climatique.

•Au niveau mondial, la température moyenne a augmenté de 0,7°C depuis 1861, et en Europe, de rien de moins que 0,95°C.

•La fonte des glaces en Arctique a augmenté de 40%. La teneur en sel des mers polaires a chuté de manière significative depuis les années 50.

•Le niveau des océans a augmenté de 10 à 20 cm.

•On assiste à un accroissement des phénomènes météorologiques extrêmes. Aujourd’hui déjà, les compagnies d’assurances enregistrent des dommages climatiques annuels qui se chiffrent à plus de 50 milliards de dollars américains. Cela équivaut actuellement à 75% de l’aide au développement annuelle au niveau mondial.

Nous devons redoubler nos efforts pour ralentir le changement climatique aussi vite que possible. Globalement, les températures ne doivent pas augmenter de plus de 2°C en comparaison avec l’ère préindustrielle. C’est un avis partagé par les chercheurs en climatologie. Et nous ne disposons pas d’une réserve de temps illimitée pour ce faire. Nous devons changer de cap dans les dix prochaines années.Les pays industrialisés devront prendre un maximum de mesures dans cette optique. Ils sont responsables de 80% des émissions de CO2 rejetées par les êtres humains dans l’atmosphère.

Les perspectives quant aux prix des ressources

Forte demande dans les pays industrialisés

L’évolution la plus récente est souvent caractérisée par la demande croissante des nouveaux pays industrialisés comme la Chine et l’Inde. Cela ne permet pas de se rendre compte de la charge qui pèse sur des ressources extrêmement limitées.

•Les pays industrialisés (OCDE), dans lesquels vit 15% de la population mondiale, comptent pour près de 56% de la consommation de pétrole brut, près de 60% du gaz naturel, et approximativement 50% de la consommation d’autres ressources limitées.

•Les Etats-Unis, où vivent moins de 4% de la population mondiale, sont responsables à eux seuls de 20% des émissions de CO2 au niveau planétaire.

Au vu de cette situation, et au vu des niveaux de consommation courante en Europe, il est utile de rappeler le principe de la responsabilité commune mais différenciée du développement durable, tel que mis en avant lors de la Conférence sur l’Environnement à Rio en 1992. La demande d’énergie dans les états industrialisés doit dès lors être réduite.

Croissance dans les nouveaux pays industrialisés

La Chine et l’Inde sont en quête d’un approvisionnement fiable en pétrole et dans une moindre mesure à long terme, en gaz naturel, ce qui va occasionner des changements au niveau mondial. La part de la Chine dans la demande en métaux de base oscille entre 20 et 25%. En 2005, la Chine était la troisième plus grande nation commerciale. Sa croissance économique est nécessairement couplée à une croissance rapide de sa consommation énergétique. Alors que la Chine devait importer à peine 7,6% de son pétrole en 1995, ce chiffre a grimpé jusque 42% dix ans plus tard. D’ici 2020, la Chine devrait importer près de 60% de ses besoins. Le débat occidental (dans l’UE et aux Etats-Unis) sur la collaboration avec la Chine dans le domaine économique oscille entre les titres « La Chine, une menace » et « La Chine, une opportunité ». En politique énergétique, c’est le sentiment de menace qui domine dans les relations de l’Europe avec la Chine. La Chine a l’habitude de répondre malicieusement. Après tout, demande-t-elle, où vont ces biens, pour la production desquels l’énergie est consommée en Chine ? La réponse est que la plupart de ces biens sont exportés. Une partie de la demande exponentielle d’énergie en Chine résulte de la délocalisation de la production en Europe et aux Etats-Unis vers la Chine. Mais la consommation se fait dans ces continents.

Le plus grave reproche adressé à la Chine est qu’elle coopère avec des Etats en Afrique et au Proche et Moyen Orient qui sont accusés de graves violations des droits de l’homme. Par le biais de la vente d’armement, la Chine soutient des régimes autoritaires et affaiblit toutes les tentatives d’amélioration des conditions démocratiques fondamentales en raison de sa politique bilatérale de « non-intervention dans les affaires intérieures ». Cependant, de tels reproches rebondissent sur les accusateurs – que ce soit les Etats-Unis ou l’Europe – car eux aussi cherchent à combler leurs besoins en matières premières en s’engageant dans la coopération avec des états autoritaires ou répressifs (par exemple le gaz naturel provenant du Turkménistan, le pétrole brut de Guinée Equatoriale).

La croissance dans les pays en développement

A l’heure actuelle, les pays industrialisés consomment 70% de l’énergie produite dans le monde. Il y a vingt ans, ce taux était encore de 80%, avec une consommation totale moins élevée. Mais notre modèle de production et de consommation se mondialise. On s’attend à ce que plus de deux tiers de la croissance future se produise dans les nouveaux pays industrialisés et dans les pays en développement.La majeure partie de cette croissance est liée à la satisfaction des besoins de base :

•plus de la moitié de l’ensemble des populations des pays en développement n’ont pas accès à l’énergie moderne ;

•1,6 milliards de personnes n’ont pas accès à l’électricité.

Etre à l’abri du besoin, de la peur, être libre de vivre dans la dignité (comme le dit Kofi Annan dans le Rapport du millénaire des Nations Unies) : ce sont les trois conditions fondamentales que nous devons remplir pour assurer la paix dans le monde à long terme. Un approvisionnement en énergie durable, fiable et rentable est vital pour toute économie. Sans énergie accessible et fiable, la prospérité, la santé et la mobilité sont impensables. Ceci est vrai pour toute société.

Mais l’époque du pétrole bon marché est réellement terminée. Le déclin des gisements et de la disponibilité des combustibles fossiles, couplé à une demande croissante au niveau planétaire signifie que l’attention de la communauté internationale se centrera de plus en plus sur la question de l’accès à l’énergie. Nous devons combiner la demande croissante en énergie à un meilleur accès pour les plus pauvres, tout en diminuant son impact sur le climat et en réduisant la pollution de l’eau, du sol et de l’air.

Concentration régionale et nouveaux monopoles.

La distribution actuelle des ressources fossiles doit être un autre sujet d’inquiétude. La forte concentration des gisements d’hydrocarbures dans une région relativement limitée devient un problème croissant. Si les deux tiers de pétrole brut étaient produits aux USA et dans les pays industrialisés du Nord jusqu’aux années 50, ce modèle a maintenant changé fondamentalement et irréversiblement. D’ici 2025, entre deux tiers et trois quarts des hydrocarbures (selon l’évaluation utilisée) viendront des pays du Sud et de Russie.1 Ceci pose des problèmes géopolitiques sérieux. Le potentiel de chantage vis-à-vis des états consommateurs croît. L’énergie peut être employée comme moyen de pression. Nous sommes actuellement témoin de ce phénomène avec la Russie. La Russie semble employer de plus en plus ses ressources dans le but d’acquérir le statut de superpuissance énergétique. On ne doit pas oublier que les voisins de la Russie et des anciennes Républiques soviétiques d’Ukraine, de Biélorussie, de Géorgie ont joui de conditions extrêmement favorables, si on les compare au niveau des prix sur le marché mondial. Cependant le timing des augmentations des prix laisse peu de doute quant à leur motivation politique.

Dans ce contexte, la distribution régionale des produits finis n’est pas la seule source d’inquiétude. On estime que 77 % de tous les gisements connus de matières premières, ne sont pas sous contrôle du secteur privé mais de gouvernements ou de sociétés publiques ou semi-publiques. Dans une certaine mesure, l’évaluation politique de cette situation varie en fonction du point de vue idéologique :- Un modèle qu’on peut appeler “occidental” vise la libéralisation du marché des matières premières. Comme idéal-type, il implique le démantèlement des barrières et la promotion d’investissements directs dans ce segment, soumis dans la mesure du possible à des conditions lucratives.- Un (contre-) modèle dans les pays nouvellement industrialisés, riches en énergie, qui affirment leur souveraineté en cherchant à utiliser leurs ressources énergétiques nationales dans un processus étatique et politiquement contrôlé. Dans ce modèle, les ressources énergétiques décident du statut (de puissance) dans le monde (c’est le portrait type des superpuissances énergétiques comme la Russie, l’Iran, le Venezuela).

Si la rhétorique de ce dernier camp peut sembler attrayante pour certaines parties de la gauche, nous ne devons pas oublier, que du point de vue des pays importateurs, cela ne change pas grand-chose que les bénéfices de la hausse des prix de l’énergie entrent dans les poches du privé ou dans celle d’un gouvernement. Les pays en voie de développement non-exportateurs de pétrole, par ailleurs – en dépit de toute la rhétorique du Venezuela – sont les principales victimes du niveau du prix du pétrole, du manque d’accès aux systèmes d’énergie adaptés, et des monopoles d’état régionaux. Les effets de mesures bien intentionnées comme la réduction de la dette, les programmes d’aide au développement, la promotion du commerce, sont réduits à néant par la croissance des factures pétrolières.

En règle générale, la capacité des pays importateurs d’agir sur la scène de la politique étrangère diminue. Par exemple, on pourrait être tenté de dire, que les apparentes bonnes relations entre l’Allemagne et la Russie, en dépit de beaucoup de différences potentiellement majeures, doivent beaucoup à cette donnée de base.

Ainsi en ce qui concerne les risques globaux du changement climatique et de pénurie des ressources énergétiques, tant les pays industrialisés que les pays en voie de développement font face aux deux risques :

•la conséquence du changement climatique en termes d’événements météorologiques extrêmes et les dommages économiques graves résultant de ceux-ci ;

•l’augmentation continue du prix de l’énergie produite à partir de ressources fossiles limitées.

Les pays les plus riches sont certainement mieux équipés pour gérer ces risques que les pays en voie de développement. Mais pour des raisons morales et économiques, nous ne pouvons pas continuer à sous-estimer leur importance.

Contrôle du risque global :

contours d’une stratégie de sécurité énergétique

Les questions qui se posent à nous sont triples :

1.Au niveau mondial, dans le contexte de la politique énergétique et des matières premières, entrons-nous dans une phase de coopération croissante ou dans une phase de confrontation ?

2.Comment les pays qui n’ont pas encore un accès adéquat aux systèmes d’énergie durable peuvent-ils l’obtenir ?

3.Quel rôle peuvent jouer l’Allemagne, l’Union Européenne et – idéalement – les USA dans une démarche coopérative ?

Nous ne garantirons la sécurité énergétique que si nous relevons un défi contradictoire. Nous avons besoin, en matière énergétique, d’une coopération systématique en Europe avec les partenaires transatlantiques et les pays nouvellement industrialisés. Même si l’Allemagne, à l’occasion de sa présidence de l’Union Européenne, veut soumettre un plan d’action Energie, nous devons admettre qu’actuellement nous ne disposons dans le meilleur des cas que des rudiments d’une stratégie énergétique européenne.Cependant quelques domaines d’actions peuvent être identifiés…

Contrer le changement climatique

Nous devons discuter très sérieusement avec les USA des mesures à prendre pour combattre le changement climatique. Un manque de mesures vigoureuses entraînerait des coûts énormes et l’apparition de nouveaux problèmes de sécurité : les réfugiés environnementaux, comme au Darfour ou au Nord Kenya, l’urbanisation croissante, et des risques dramatiques pour les régions côtières.

À cet égard, deux choses doivent être claires :

•Dans une phase post-Kyoto, nous devons convaincre les pays nouvellement industrialisés de réduire leurs émissions de CO2. (dans un avenir prévisible, la Chine rattrapera les USA en termes de bilan CO2).

•Cependant, ceci ne réussira que si les USA, à leur tour, s’engagent à abaisser leurs émissions de CO2 sous quelque forme que ce soit et si, à tout le moins, ils promettent de geler leurs émissions de gaz à effet de serre.

En dépit de la nécessité de parvenir à des accords globaux, l’importance de pionniers est claire. Cela signifie que l’Allemagne et l’UE doivent se doter d’objectifs clairs à moyen et long terme pour les énergies renouvelables et renforcer leurs objectifs de réduction des émissions de CO2. D’ici 2020, l’UE doit viser une réduction d’un tiers de ses émissions de gaz à effet de serre par rapport à 1990. Les Etats américains suivront cette tendance ainsi que probablement la future administration américaine.Parallèlement, des mesures incitatives pourraient être prises aux USA et en Europe auprès des consommateurs et des entreprises afin de les rendre écologiquement plus attentifs. Par exemple, en fixant des valeurs limites et des normes (consommation, émission des gaz d’échappement) pour réduire rigoureusement la consommation énergétique des voitures et d’autres biens de consommation. En raison de la mondialisation des chaînes de production, ceci aurait également des implications pour la production dans d’autres parties du monde.

Des deux côtés de l’Atlantique, il y a un retard considérable à rattraper en matière de réduction des consommations de carburant. Bien que la consommation moyenne dans l’UE soit bien au-dessous des niveaux des USA, ce sont les constructeurs de voitures allemands et américains qui ont conjointement intenté un procès contre les nouvelles normes d’émissions de CO2 de la Californie. Leur objectif est pourtant de s’assurer que, dans un délai de 11 ans, les voitures vendues aux USA soient conformes aux normes de consommation qui s’appliquent déjà aujourd’hui en Chine. C’est absurde. Ce procès doit évidemment être abandonné. Il serait bien plus intéressant de mener un effort transatlantique afin de rattraper l’avance prise par l’industrie automobile japonaise dans la technologie hybride. La possibilité de rattrapage technologique a été démontrée ces dernières années par l’industrie du solaire photovoltaïque en Allemagne.

Organiser un saut quantique dans les technologies post-carbone.

L’UE et les USA étant les régions les plus intégrées économiquement au niveau mondial, elles devraient étendre leur coopération sur tous les fronts afin de prendre leurs distances avec le pétrole et réduire l’utilisation du charbon et du gaz. C’est ce qui est souligné dans le traité conclu entre l’Allemagne et les USA en matière de coopération énergétique.

A long terme, les éléments essentiels de la sécurité énergétique mondiale seront l’expansion massive des énergies renouvelables, l’amélioration de l’efficacité énergétique et l’accroissement des économies d’énergie. Pour citer quelques exemples :

•Développer de nouvelles technologies pour exploiter des biocarburants, en passant directement du biogaz au bioéthanol cellulaire.

•Etendre et utiliser la technologie des centrales solaires thermiques pour laquelle l’Allemagne possède la connaissance technologique et les USA le climat.

•Réduire le retard technologique des USA dans l’énergie éolienne dû à un manque de programmes subsidiés sous l’administration Reagan.

•Collaborer au développement de centrales à charbon zéro-CO2, y compris la séquestration de carbone – particulièrement en raison des besoins énergétiques des pays nouvellement industrialisés – technologie indispensable bien que pas encore commercialisable.

•Et finalement développer de nouvelles technologies de stockage, en particulier dans le domaine de l’utilisation des énergies renouvelables.

Eloigner l’énergie nucléaire

Dans un contexte de dépendance pétrolière, il est très tentant d’appeler à la renaissance du nucléaire. Occasionnellement, le nucléaire est même associé aux mots « nouveau » ou même « énergie propre » aux côtés des énergies renouvelables. Et pour la première fois depuis des décennies, les partisans de l’énergie nucléaire peuvent espérer trouver un écho au sein du public. C’est une tentation dangereuse pour différentes raisons, écologiques, économiques et sécuritaires.

L’énergie nucléaire n’offre aucune solution à nos problèmes énergétiques mais crée simplement de nouveaux risques incalculables. Le nucléaire n’est ni propre ni renouvelable.

•Dans aucune centrale nucléaire, il n’est possible d’éliminer le risque d’un accident majeur, ou le pire scénario, la fusion du cœur.

•Les dispositions pour les déchets nucléaires radioactifs sont non résolues depuis plus de cinquante ans, c’est ce que Gorleben et Yucca Mountains ont en commun.

•L’uranium lui-même est une ressource limitée.

L’énergie nucléaire n’apportera aucune réponse appropriée pour sécuriser les besoins énergétiques du futur. Pour remplacer juste 10% de l’électricité produite à partir du charbon, du pétrole et du gaz, plus de 1.000 réacteurs devraient être construits mondialement.

Cette option n’est pas davantage convaincante économiquement.

•Aux USA aucune nouvelle centrale nucléaire n’a été approuvée depuis les années 70.

•En Europe, il y en a eu une seule, en Finlande. L’Europe produit, en absolu, moins d’électricité d’origine nucléaire qu’il y a 10 ans. Sa part dans la production d’électricité totale diminue aussi en raison de la croissance du secteur des énergies renouvelables.

•En Chine, deux centrales nucléaires sont en construction. Elles entreront en service (suivies éventuellement d’une troisième) avant 2010 alors que dans le même temps la Chine sera alimentée pour 30 % par des énergies renouvelables. La mauvaise nouvelle est que, chaque semaine, la construction d’une centrale au charbon de 1.000MW y est décidée.

L’énergie nucléaire n’est pas compétitive. Le secteur privé a-t-il construit une seule centrale nucléaire quelque part dans le monde sans une aide financière importante des gouvernements ? Le montant des subsides nécessaires pour une augmentation substantielle de la production d’’énergie nucléaire au niveau mondial excède de loin les aides requises pour les énergies renouvelables.

À ceci doit s’ajouter le risque de prolifération. Des Etats comme l’Inde, le Pakistan, Israël et maintenant la Corée du Nord, ont réussi à contourner le traité de non-prolifération et les processus de contrôle nucléaire. D’autres Etats ont la possibilité de construire des armes nucléaires dans un délai relativement court. Après les succès « récents » de la Corée du Nord, certains Etats seront tentés d’accroître leurs efforts pour rejoindre le groupe des puissances nucléaires (Arabie Saoudite, Egypte, Iran). Ensuite, et après le 11 septembre, nous ne devons pas non plus oublier que les centrales nucléaires sont des cibles de choix pour les terroristes. Si nous prenons au sérieux les aspects écologique et de sécurité, nous ne pouvons pas traiter un risque en en créant un autre, potentiellement plus grand.

Créer la sécurité énergétique au travers d’une action multinationale

La crainte, de plus en plus grande, qu’aucun accès à l’énergie à des conditions et des prix calculables n’existe encore à l’avenir, devrait inciter l’UE à préconiser des règles globales pour un accès juste à l’énergie. En regard du fait qu’on ne peut plus agir en matière climatique sans efforts de gouvernance globale, les efforts faits au nom d’une politique énergétique internationale demeurent rudimentaires.

Mon point de vue est que les pays du G8 ont jusqu’ici raté l’opportunité de s’accorder sur les étapes de réduction de la dépendance à l’égard du pétrole et des autres énergies fossiles. L’Allemagne devrait utiliser sa présidence du G8 pour mettre ce point à la une. Ce devrait être le point de départ d’un dialogue systématique et institutionnalisé avec les pays nouvellement industrialisés sur les systèmes d’énergie durable.

On a suggéré la création d’une véritable organisation mondiale de l’énergie à laquelle la Chine, l’Inde et d’autres pays, aussi, devraient participer. Et dans laquelle les gouvernements, le secteur privé et la société civile seraient parties prenantes. Une telle agence mondiale, l’idée en court, devrait déterminer les obligations de fourniture et d’accès à l’énergie. Il serait intéressant de discuter de l’opportunité de confier ce rôle à l’Agence Internationale de l’Energie. Mais les récentes prises de positions de l’AIE en faveur de l’énergie nucléaire n’ont certainement pas accru sa crédibilité comme candidat.

Conclusions

Les trois préalables pour une stratégie d’indépendance pétrolière sont :

•les énergies renouvelables ;

•les économies d’énergie ;

•l’efficacité énergétique.

Avec le risque global de changement de climatique et de pénurie de ressources fossiles, une politique énergétique verte est à la fois un projet écologique, économique et de sécurité. La mauvaise nouvelle, c’est que ces risques sont énormes et que le temps passe. La bonne, c’est qu’avec les changements récents en perspective, des camps politiques autrefois hostiles peuvent s’accorder sur un nouvel agenda global. Les écologistes, les économistes et les partisans de la sécurité devraient se réunir sous la nouvelle bannière de l’indépendance vis-à-vis du pétrole.

1Iran, Irak, Arabie Saoudite, Koweït, Algérie, Libye, Nigeria, Angola, Colombie, Venezuela, Azerbaïdjan, Kazakhstan, Turkménistan, Russie

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